Questions pour les élèves : Connaissez-vous des Rwandais en Belgique ? Avez-vous déjà fait le lien entre eux et ce qu’il s’est passé au Rwanda en 1994 ?
Depuis l’époque précoloniale, les Rwandais ont migré dans différentes régions pour diverses raisons. Essentiellement issue des différentes vagues de réfugiés qui ont fui le Rwanda depuis 1959, la diaspora rwandaise a connu ses plus grands mouvements en 1994.
Une méfiance qui persiste malgré la distance
Avec environ 30 000 ressortissants, la Belgique compte la plus grande et la plus ancienne diaspora rwandaise en dehors du continent africain. Composée jusqu’en 1994 en grande partie d’anciens réfugiés tutsis, la diaspora rwandaise de Belgique a ensuite vu arriver des Rwandais de toutes les communautés, issus de divers milieux et ayant immigré pour diverses raisons : politiques, économiques, études, regroupements familiaux…
Même s’ils sont pour la plupart profondément intégrés dans la société belge, les Rwandais de Belgique ont depuis toujours été concernés par les différentes problématiques touchant leur pays d’origine, des problématiques importées sur leur terre d’accueil.
Beaucoup ayant gardé un lien avec le Rwanda, ils participent de façon individuelle à l’économie de leur pays d’origine, par l’envoi de fonds à leurs familles ou l’investissement dans divers projets. Conscients des opportunités professionnelles ou d’entreprenariat existants au Rwanda, ils sont de plus en plus désireux de jouer un rôle dans le développement du pays ou du moins de tirer parti du dynamisme économique actuel.
Le rôle non négligeable des Rwandais de la diaspora en tant qu’acteurs économiques ou ambassadeurs en faveur de leur pays est d’ailleurs bien reconnu au Rwanda où il existe une Direction générale de la Diaspora au sein du ministère rwandais des Affaires étrangères.
Par ailleurs, le gouvernement diffuse à ses ressortissants vivant à l’étranger les valeurs du nouveau Rwanda, notamment celles liées à l’unité et à la réconciliation.
Cependant, contrairement à ce qui se passe au Rwanda, dans le contexte belge où les gens ne se côtoient pas tous les jours et ne sont pas obligés d’avoir des relations professionnelles ou de voisinage, cet appel à la cohésion a du mal à venir à bout d’une méfiance qui subsiste entre les communautés. Surtout que certains nostalgiques de l’ancien régime n’ont pas abandonné l’idéologie génocidaire et ne se cachent pas pour afficher leurs opinions.
À Bruxelles, certains lieux de divertissement sont ainsi « étiquetés », fréquentés par l’une ou l’autre communauté seulement. Parfois, la participation à un évènement culturel pourra dépendre de l’identité de l’entité organisatrice. Mais c’est surtout sur Internet et notamment sur les médias sociaux que les propos les plus virulents s’échangent.
Mais en dehors des cas extrêmes, où des confrontations basées sur le clivage ethnique ont pu dégénérer en insultes et voire en gestes violents, les affrontements les plus importants s’observent lors de manifestations à visées politiques, la Belgique comptant un certain nombre d’opposants au régime de Kigali.
Lutter contre l’impunité et la négation du génocide
Au milieu de cette masse hétérogène se trouvent également un certain nombre de personnes qui ont participé de loin ou de près au génocide. Certains étant en fuite mais évoluant en toute liberté en Belgique, d’autres ayant réussi à se camoufler en changeant d’identité.
Après 1994, la Belgique, comme beaucoup d’autres pays africains et occidentaux, a accueilli sur son sol des personnes accusées de participation au génocide.
Constitués en partie civile, des Rwandais de la diaspora ont pu porter plainte contre certaines de ces personnes et, grâce à la loi de compétence universelle, un petit nombre d’entre elles ont pu être traduites en justice et jugées, au Canada, en Allemagne, en France et en Belgique.
En Belgique, des associations rwandaises se battent également contre la négation du génocide des Tutsi, une négation qui n’est pas réprimée par la loi.
Si le génocide des Tutsi du Rwanda est rarement nié explicitement, son évocation ou explication à travers certains médias ou de la part de certains intellectuels ou « spécialistes » du Rwanda, tient toutefois de la négation.
La présentation du génocide comme une « guerre ethnique » ou « une suite de l’attentat contre l’avion du président Habyarimana », nie d’une part le projet d’extermination d’un groupe ciblé et, d’autre part, l’intention criminelle de ce projet, des éléments cruciaux dans la qualification de génocide.
Parler de « génocide rwandais » est une autre forme de négation, volontaire ou non, fréquemment rencontrée. Le génocide ne visait pas à exterminer le peuple rwandais, ni les Twa ou les Hutu en tant que communauté. Un certain nombre de Hutu ont été effectivement massacrés pendant le génocide, parce qu’ils étaient démocrates et opposés au pouvoir extrémiste, parce qu’ils ont voulu venir en aide aux Tutsi ou parce qu’ils étaient liés d’une manière ou d’une autre à une personne tutsie, mais ces personnes n’ont pas été tuées parce qu’elles étaient hutues. En ne nommant pas explicitement le groupe visé par ce crime, on nie l’existence de ce génocide.
La négation du génocide des Tutsi tient également dans la défense et diffusion de la théorie dite du « double génocide ». Les porteurs de cette théorie expliquent qu’il y aurait eu deux génocides au Rwanda : celui des Tutsi par les extrémistes hutus et celui des Hutu par l’armée du FPR. En établissant une égalité « juridique » entre les différents crimes commis contre des Rwandais, cette hypothèse nie la spécificité de chacun d’entre eux.
En Belgique et en particulier à Bruxelles, cette forme de négation du génocide s’observe notamment lors des cérémonies de commémorations. Alors que le 7 avril, une partie de la communauté rwandaise de Belgique rend hommage aux victimes du génocide des Tutsi, une autre partie organise, le 6 avril, une cérémonie en mémoire des victimes du génocide rwandais.
Les cérémonies du 6 avril qui commémorent notamment la mort de l’ancien président Habyarimana se sont longtemps tenues en la Basilique de Koekelberg à Jette avant de se déplacer à Woluwe-Saint-Pierre devant la stèle dédiée aux victimes du génocide. Vécue comme une agression et une profanation du monument par les rescapés et les autorités rwandaises, cette manifestation a par la suite été interdite par l’ancien bourgmestre de Woluwe-Saint-Pierre, jusqu’en 2013 où le nouveau bourgmestre l’a laissée avoir lieu.
En conclusion
Au-delà de la négation du génocide, au sein de la population rwandaise, il existe différentes interprétations quant aux éléments clés de l’histoire de leur pays.
Sur l’origine des différentes catégories du peuple rwandais, en ce qui concerne les principes organisateurs du pouvoir durant les différentes périodes de l’histoire du Rwanda ou encore à propos des différents conflits qui ont marqué le pays et de leurs causes et conséquences, il existe plusieurs grilles de lecture basées sur le vécu de chacun.
Sources d’incompréhension réciproque et de tensions, ces divergences de point de vue sont un obstacle à un avenir définitivement pacifié.
Dès lors, il appartient maintenant aux Rwandais de reconstituer les différents pans de leur histoire, en se basant sur des recherches historiques minutieuses afin que puissent se dessiner les prémisses d’une histoire et d’une mémoire communes.
Pour aller plus loin
En théorie :
Pour en savoir plus sur la loi de compétence universelle et notamment sur les procès de génocidaires rwandais liés à l’usage de cette compétence.
En actes :
Plusieurs visites sont possibles :
- Il existe une stèle qui s’intitule Sous le même Ciel, qui est dédiée aux victimes du génocide des Tutsi au Rwanda. Elle se trouve à Woluwe- Saint-Pierre.
- On trouve également une plaque commémorative sur la place Poelaert à 1000 Bruxelles.
- Concernant les crimes de génocide, on peut désormais visiter le nouveau parcours permanent Plus jamais ça, consacré à la déportation sous le régime nazi.
Chaque année, début avril, des cérémonies de commémoration sont organisées par l’Association Ibuka, à Bruxelles, Liège, Charleroi, Louvain-la-Neuve.
Il est également possible de prendre part au programme La haine, je dis NON ! organisé par le Centre communautaire laïc juif.