Dans le documentaire : « - Et cette histoire de côtes, c’est quoi exactement ?
- Ils (les Belges) disaient que les Tutsi avaient 32 côtes et que les Hutu en avaient 30 ou 31… Mais on ne les comprenait pas. »

Questions pour les élèves : Pouvez-vous donner des exemples de situations où les questions identitaires peuvent devenir sensibles ? Quels sont les mécanismes qui peuvent mener à la discrimination ?

Reconnaître la différence est indispensable car elle est constitutive de notre identité. Mais différencier ne signifie pas nécessairement stigmatiser.

À la fin du XIXe siècle, au Rwanda, les Tutsi, Hutu et Twa étaient effectivement différenciés dans le sens où ils étaient spécialisés respectivement dans l’élevage, l’agriculture et la chasse. Néanmoins, à l’époque, ces groupes s’identifiaient à une seule culture (danse, chant, etc.), parlaient la même langue, cohabitaient sur le même territoire et croyaient au même dieu. La société rwandaise n’était pas structurée en fonction des Hutu, Tutsi ou Twa mais selon une division en clans qui se composaient de membres des trois groupes.

L’organisation de la société à laquelle ils appartenaient depuis des décennies n’était en rien liée à celle que connaissaient les Européens à cette époque. En réduisant les Rwandais à des caractéristiques fixées selon des critères ethnocentristes et racistes et en les catégorisant en trois ethnies figées, le colonisateur belge a utilisé une classification identitaire qui n’était pas appropriée pour décrire le système social complexe du Rwanda à cette époque.

De leur côté, les colonisés intégrèrent ces critères racistes. À partir de là, les Tutsi vont progressivement être assimilés à des étrangers et à des oppresseurs

Quels sont les mécanismes qui mènent à l’exclusion de certains groupes, voire à l’escalade de la haine et de la violence ?


Le colonisateur belge a utilisé une classification identitaire qui n’était pas appropriée pour décrire le système social complexe du Rwanda.


Stéréotypes et préjugés

Lorsque les Belges arrivent au Rwanda, ils vont accentuer la division de la population en attribuant aux différents groupes des caractéristiques sur base de théories racistes. Par exemple, comme l’explique l’historien Éric Ngarukiye, « ils vont dire que les Tutsi sont plus intelligents alors que les Hutu sont nés pour être gouvernés ». Cette distinction leur permet d’asseoir leur pouvoir, notamment en confiant aux Tutsi l’ensemble des postes importants dans l’administration du territoire.


Extrait du documentaire Des Cendres dans la Tête

Mais cette pratique, à savoir attribuer une même qualité ou un même défaut à l’ensemble des membres d’un groupe, revient à créer des stéréotypes. Or le stéréotype est le premier pas qui mène vers le préjugé, qui conduit lui-même souvent à la discrimination.

Le stéréotype est une manière d’appréhender la réalité et de penser par clichés. Face à une surabondance d’informations, l’individu a besoin de simplifier. Les stéréotypes s’acquièrent souvent dès la petite enfance (pendant les années 80, la propagande anti-Tutsi se fait dès l’école) ou par les différents groupes sociaux auxquels les individus appartiennent. Ils sont transmis de génération en génération. Les individus les intègrent de manière inconsciente et les reproduisent de telle façon qu’ils génèrent et perpétuent des préjugés.

Les stéréotypes occupent des fonctions individuelles (donner du sens à nos valeurs) et sociales (justifier la position de son groupe par rapport à un autre). C’est cette seconde fonction que le colonisateur a particulièrement mobilisée. En renforçant une étiquette puis une autre, il a, à chaque fois, justifié la position supérieure du groupe sur lequel il voulait s’appuyer pour asseoir son pouvoir.

Les stéréotypes sont très rigides. Ils évoluent difficilement. Le changement de statut d’un groupe peut, par exemple, être à la source de cette évolution. C’est ce qui s’est passé au Rwanda. Dans un premier temps, les Belges se sont reposés sur la communauté tutsie, jugée « plus intelligente », pour gouverner. Sentant souffler le vent de l’indépendance, ils ont fait volte-face en 1955 pour soutenir les intellectuels hutus dans leur accession au pouvoir. L’image du Hutu « pas apte à gouverner » n’était dès lors plus vraiment d’actualité. Chez nous en Belgique, les Flamands ont longtemps été considérés comme des paysans, la langue des Wallons, le français, étant alors celle de l’élite. Aujourd’hui les statuts se sont inversés, les Flamands étant perçus comme « à la pointe » sur le plan économique et les Wallons « à la traîne ».

Insulte et déshumanisation


Le langage reflète souvent une vision du monde spécifique à un groupe. Il s’apparente ainsi à une sorte de filtre de la réalité. En utilisant un langage plutôt qu’un autre, l’individu affirme son appartenance à une communauté. L’insulte est une forme de catégorisation stéréotypante. Au Rwanda, les Tutsi ont été caricaturés et réduits à des traits d’insectes connotés négativement. Pour évoquer l’élimination massive des « inyenzi » ou cafards (Tutsi et Hutu modérés), ce sont des termes de laboratoire comme le « grand nettoyage » ou la « désinfection » qui étaient utilisés notamment à la radio (RTLM).

C’est précisément parce que l’insulte se répand comme une traînée de poudre que l’ennemi devient synonyme de nuisance. Ce dernier est déshumanisé et le message d’extermination fait mouche avec d’autant plus d’efficacité. Entre 1941 et 1945, les nazis désignaient eux aussi les juifs comme de la vermine, des parasites, des bacilles, des choses à exterminer, à éradiquer. Une entreprise baptisée la « solution finale ». En traitant les Tutsi de cafards, les Hutu leur assignent une identité négative qui engendre la montée d’un sentiment de haine à leur égard et l’envie de s’en débarrasser. Avant d’être tués, les Tutsi doivent reconnaître qu’ils ne sont pas Rwandais, ni même des êtres humains mais des bêtes nuisibles, des « rats », des «serpents», des «cafards». Dans des situations de conflits identitaires comme celle du Rwanda ou de l’Allemagne nazie, les insultes sont souvent présentes dans les interactions verbales.

Catégorisation et rôle du pouvoir

Une catégorie est un ensemble dans lequel des personnes ou des choses sont de même nature par rapport à des caractéristiques données (Hutu, Tutsi, Twa ou grand, moyen, petit…). La catégorisation répond à un besoin de la pensée humaine de nommer et de classifier. Les personnes qui n’ont comme référence qu’un seul système de pensée perçoivent ces catégories comme des évidences universelles.

La catégorisation permet de se différencier, de se définir, d’attribuer des caractéristiques aux autres afin de se situer. Elle s’opère en termes de « Eux » et de « Nous ». Elle tend à minimaliser les différences à l’intérieur de notre propre groupe (nos membres nous paraissent plus semblables qu’ils ne le sont réellement) et à maximiser les différences avec les autres groupes. Par ailleurs, pour se sentir en sécurité, l’être humain projette le négatif sur l’autre. Lorsqu’il y a lieu d’attribuer des causes aux changements (crise économique, crise politique, conflit, etc.), le bouc émissaire sert alors à dissiper les peurs. Enfin, l’homme a besoin de dominer en considérant son groupe comme le meilleur et en lui octroyant des privilèges afin de maintenir les autres à l’écart. C’est notamment ce que les Hutu ont fait en rédigeant le Manifeste des « 10 commandements des Bahutu » en 1990.

Le pouvoir est un élément majeur dans la construction des identités. Dans certains cas, l’identité n’est pas « auto-attribuée » mais est imposée d’en haut. Le pouvoir en place enferme alors le peuple dans des catégories sans que celui-ci puisse contester la mesure prise et se démarquer par rapport à « l’étiquette » imposée. C’est ce qui s’est passé à plusieurs reprises au Rwanda. En réduisant l’identité des Tutsi et des Hutu à quelques traits saillants tels que les côtes ou la mâchoire (technique d’anthropométrie) liés à leur identité « objective » (puisque déterminée biologiquement), les Belges ont enfermé ces deux groupes dans des catégories. En même temps, ils ont accentué le clivage entre un groupe considéré comme supérieur et l’autre inférieur. Il en a naturellement découlé des sentiments négatifs de la part de la catégorie « inférieure » à l’égard du groupe « supérieur ».

Discrimination et conformisme


En Belgique, l'association EPTO s'est spécialisée dans l'approche des questions identitaires, et notamment liées aux stéréotypes et préjugés, pour un public jeune, grâce à l'éducation non-formelle.

Lorsque les stéréotypes sont maintenus, renforcés et véhiculés, ils débouchent sur des discriminations. Pour se sentir en sécurité, l’être humain apprend à se sentir proche ou éloigné de tels ou tels groupes et à obéir ou non aux règles propres à ces derniers.

La discrimination est l’action de traiter différemment des individus ou l’ensemble d’un groupe par rapport aux autres. Elle peut être positive ou négative. La catégorisation, puis les stéréotypes et les préjugés peuvent entraîner des discriminations. Les discriminations négatives touchent souvent les minorités (gays, Noirs, etc.) et passent alors par le refus arbitraire de leur octroyer certains droits ou privilèges (droit au travail, droit de vote, etc.).

Le processus de discrimination peut être plus ou moins long et peut prendre différentes formes : du refus de certains droits jusqu’aux meurtres, voire aux massacres. Le risque est bien là. Et c’est ce qui s’est produit au Rwanda entre les Hutu et les Tutsi. En installant un système rigide dans lequel le Tutsi était systématiquement privilégié, le colonisateur belge a posé les bases d’un « régime caractérisé par des antivaleurs », comme l’explique l’historien Éric Ngarukiye. Un régime qui « protège une partie de la population alors qu’il en opprime une autre part ». Un régime dans lequel « le tissu social a été déchiré » à un point tel que le génocide est devenu possible une fois le pouvoir passé aux mains des Hutu.

Certains éléments peuvent participer à l’accélération du processus et attiser la haine. Au Rwanda, pays de tradition orale, la radio a joué un rôle prépondérant en tant qu’instrument de mobilisation idéologique, politique et de propagande.

Mais qu’est-ce qui amène un individu à considérer une norme, une proposition ou une caractéristique assignée à un autre individu/groupe comme vraie ? En d’autres termes, comment les Hutu et les Tutsi se sont-ils petit à petit laissés bercer par l’histoire revisitée par le colonisateur ? Comment ont-ils intégré les stéréotypes véhiculés à l’égard de leurs voisins, puis transmis à leurs propres enfants ? Et enfin, comment sont-ils passés à l’acte ?


Découvrez l'expérience de Asch.

En 1952, Asch a réalisé une expérience qui prouve que face à la peur de ne pas être aimé, d’être abandonné, rejeté, voire violenté, l’être humain a tendance à se soumettre à l’opinion majoritaire, même quand il ne l’approuve pas. Cette hypothèse se confirme lorsque l’individu ne se trouve pas en situation de danger mais elle a encore plus de poids lorsqu’il est, comme au Rwanda en 94, par exemple, sous la menace d’une guerre (avec le FPR qui voulait rentrer au pays).

S’il ne dispose pas d’éléments physiques, matériels et objectifs pour vérifier une proposition, l’individu va mobiliser ses ressources sociales. Ainsi, l’affirmation «Tous les Tutsi sont malhonnêtes en affaires » ne peut être validée que sur base de la sollicitation du point de vue des autres par rapport à cette question. Or, il y a généralement un parti pris favorable entre les membres de l’endogroupe (groupe auquel on appartient). D’où l’importance de prendre conscience de l’influence du groupe sur soi, des difficultés à s’opposer à celui-ci et des conséquences négatives, voire dramatiques qui peuvent en découler.


En conclusion

Chaque individu acquiert des stéréotypes et des préjugés depuis la plus tendre enfance. Ceux-ci ont une influence sur ses représentations et ses comportements. S’ils font l’objet d’une généralisation abusive ou sont accentués et véhiculés par le pouvoir en place, les médias ou toute autre institution, ces stéréotypes peuvent conduire à la discrimination, voire à l’escalade de la haine. Face à la pression du groupe ou dans des situations de crise, il s’avère souvent plus difficile d’y résister. C’est pourquoi il en va de la responsabilité du citoyen de rester vigilant, de tenter de débusquer ses propres stéréotypes et de les comprendre.

Un génocide est inscrit dans une lutte des races. Dans le cas du Rwanda, c’est une théorie basée sur des critères racistes, développée par le colonisateur, qui est à l’origine de la division de la société en deux grands groupes dont les individus étaient censés être reconnaissables physiquement. En accentuant et rigidifiant l’ethnicité des Hutu, Tutsi et Twa, les Belges ont facilité l’appropriation de ces critères et des valeurs associées, qui seront par la suite source de discrimination entre voisins. C’est ce long processus insidieux qui a conduit, au fil des décennies, la majorité hutue à percevoir la minorité tutsie comme un danger. Pire encore, à imaginer, puis à perpétrer le massacre collectif de celle-ci.


Pour aller plus loin

En pratique :

Tous différents, tous égaux. Ce guide du Conseil de l’Europe est une véritable boîte à outils contenant des méthodes et activités pour sensibiliser les jeunes à l’interculturalité. Contient de nombreuses fiches d’animations, notamment sur les stéréotypes…

En actes :

À Paris, il est possible d’aller visiter le musée de l’Histoire de l’Immigration.