Dans le documentaire : « Après Sylvain, Baturana et Rukara, voici maintenant Bizuru. L’identité semble décidément une notion bien complexe au Rwanda. »
Questions pour les élèves : Pourquoi le réalisateur parle-t-il de l’identité comme d’une notion bien complexe ? Selon vous, quels sont les principaux éléments qui caractérisent votre identité ?
Si l’identité est constituée d’un sentiment de « soi », c’est-à-dire de ce qui fait que l’individu reste le même (dimension objective), permanent et cohérent, elle fait aussi l’objet d’une appropriation subjective lors des différents stades de l’existence. Il s’agit donc d’une notion éminemment complexe, caractérisée par plusieurs aspects dont il est impératif de tenir compte lorsqu’on appréhende la question de l’identité d’une personne ou d’un groupe.
L’identité est individuelle et collective
Le « soi » appartient aussi à un « nous ». L’identité se définit à partir du sentiment de chaque individu d’appartenir à différents groupes sociaux. D’une part, l’individu est initialement inscrit à la naissance dans certains de ces ensembles, d’autre part chacun s’identifie à tel ou tel sous-ensemble en fonction de sa trajectoire personnelle. Ainsi on définit souvent quelqu’un comme Noir, Wallon ou musulman en fonction de sa couleur de peau, son appartenance territoriale ou religieuse. Toutefois l’appartenance à des sous-ensembles culturels exerce également une influence significative sur la construction identitaire. Ainsi en fonction de sa classe sociale, du genre, de sa profession, etc., une personne se définira comme bourgeoise, gay, cadre ou ouvrier…
Chaque culture et chaque sous-culture véhicule des valeurs, des normes, des modes de pensée et d’actions. Le processus identitaire qui amène chacun à s’identifier à tel groupe plutôt qu’à tel autre fait partie intégrante de la construction de l’individu et de son identité. La représentation du bien, du mal, de ce qui se fait ou ne se fait pas varie selon les cultures.
Par ailleurs, ces cultures sont subjectives et incarnées par des personnes. Il n’y a pas une seule façon d’être Rwandais, Belge, catholique ou musulman. Chacun intériorise une culture singulièrement. Il la reproduit et la transforme à sa façon. Ainsi, le Rwanda de Sylvain n’est pas le même que celui du président Paul Kagame ou que celui d’un Hutu vivant dans les collines.
L’altérité et la différence sont des composantes de l’identité. Ainsi, chaque personne se construit par un double mécanisme de reproduction-distinction. Elle reproduit consciemment ou non les normes des groupes auxquels elle appartient tout en se différenciant consciemment ou non par rapport aux normes des autres groupes.
L’identité est multiple parce qu’elle est la synthèse culturelle que chaque individu opère en fonction de sa trajectoire personnelle et des valeurs et des modes de pensées transmis par les différents groupes auxquels il appartient.
L’identité est plurielle et dynamique
L’identité est plus qu’une norme. La nationalité belge figure sur la carte d’identité de Patrick, le réalisateur. Et pourtant, au terme de ce parcours, il se sent un peu Rwandais. À l’inverse, s’il a l’air content de retourner dans son pays natal, son cousin Sylvain réalise ce périple dans une sorte d’indifférence apparente qui traduit sans doute son trouble. L’être humain a tendance à penser que son identité a un caractère permanent. Or, les comportements, les idées et les sentiments d’un individu évoluent, souvent à son insu, selon les transformations qui se produisent dans le contexte familial, relationnel, institutionnel et sociétal dans lequel il vit. Ainsi lorsque Filip Reyntjens, le politologue qui intervient dans le film, explique qu’il était possible pour un Hutu de devenir Tutsi en fonction, par exemple, du nombre de vaches qu’il possédait, il illustre le caractère mouvant de l’identité culturelle. Selon cette même logique, on assiste à un processus de métissage culturel qui met à mal la distinction entre les deux ethnies sur base de critères physiques et physiologiques (les Tutsi grands et minces, à la peau claire ; les Hutu petits et trapus, etc.), telle que les Belges l’avaient imaginée.
D’autres changements peuvent être liés à l’âge, aux modifications du corps, de statut, etc. La découverte de l’histoire qui lie la Belgique au Rwanda, sa prise de conscience citoyenne, la plongée dans une culture qui semble faire écho chez lui, sa propre histoire familiale sont autant d’éléments qui ont probablement amené le réalisateur à se demander s’il n’était pas un peu plus Rwandais que son cousin.
De la même manière, Sylvain avait hérité d’une identité « d’origine » rwandaise. Cependant l’expérience acquise socialement en Belgique a eu un impact sur sa construction identitaire. Ce qui explique sans doute en partie sa relative indifférence. Avec le temps, Sylvain et Patrick ont repris à leur compte, chacun à leur manière, des éléments qui leur permettent d’affirmer leur identité culturelle (valeurs, normes…). Cette identité culturelle a une dimension consciente et inconsciente. Ainsi, les individus sont ce qu’ils sont et reproduisent des comportements sur base de leur héritage sans même le savoir.
L’identité est donc un puzzle constitué de multiples expériences et influences. Elle est constante et en même temps elle est changement permanent et malgré cela l’individu reste ce qu’il est.
Avec le métissage, les critères physiques sur lesquels les Belges se sont basés pour figer les ethnies n'ont vraiment plus aucun sens.
L’identité est dialectique
L’identité se forge également à travers le regard de l’Autre. Elle se situe dans un constant mouvement d’influence entre soi et l’Autre qui participe à la définition de la personne. L’individu se définit par rapport à autrui à travers l’émission d’une série de signaux verbaux et non verbaux (les vêtements, la coiffure, l’affichage de tout autre symbole, etc.) qui sont autant de façons d’affirmer qui il est. Quelle que soit la forme d’interaction, verbale ou non verbale, elle influe sur l’identité. Celle-ci se produit à l’intérieur d’un contexte (la langue, les rites,…) qui a une influence sur la rencontre.
Sylvain a parcouru le Rwanda sous toutes les coutures, recomposant ainsi partiellement le compliqué puzzle de son passé.
Pour Sylvain, l’interaction sera différente si elle se produit au Rwanda, dans la maison de ses parents à Bruxelles ou à l’école, en français ou en Kinyarwanda, avec ou sans son cousin…
En parcourant le Rwanda, Sylvain rencontre plusieurs interlocuteurs qui lui renvoient chacun à leur manière une image de lui quand il était enfant. La narration de ces récits complémentaires ou opposés n’est sans doute pas sans impact sur son processus identitaire. Le sentiment de continuité du « moi » s’enracinant en quelque sorte dans sa mémoire. Les uns évoquent son caractère, d’autres un épisode dont ils croient se souvenir.
Dans le film, on peut observer la gestuelle de Sylvain et son expression qui varient en fonction du caractère positif ou négatif des informations reçues et du regard porté sur lui. Toutefois cette sorte d’indifférence qui l’anime tout au long du voyage, dont on ne sait si elle est réelle ou simulée, cache sans doute l’ampleur de son trouble.
Selon le contexte dans lequel il se trouve, l’individu aura tendance à mobiliser l’une ou l’autre facette de son identité et à s’adapter. En d’autres termes, il négocie son identité en fonction de la situation dans laquelle il est.
Les enjeux identitaires liés à l’adolescence, à l’adoption, aux migrations
Si l’on s’en tient à l’étymologie du mot, l’adolescence, (du latin adolescens, « en train de grandir ») illustre bien le caractère dynamique de l’identité. C’est en effet une des périodes de la vie lors de laquelle l’individu doit faire face à de nombreuses transformations visibles et profondes : changements corporels avec pour conséquence une modification de l’image de soi, développement des rapports sociaux, recherche d’identité et confrontations aux parents, etc. Cette étape qui commence vers 12 ans et se termine vers 20 ans, peut être caractérisée par une forme de vulnérabilité psychique plus ou moins marquée selon les individus. Celle-ci est liée en large partie à un sentiment de précarité identitaire. Ce sentiment s’estompe lorsque le jeune « a fini de grandir » (adultus).
Lors de l’adoption, les parents et l’enfant sont confrontés à un certain nombre de défis identitaires. Pour les parents, il s’agit principalement du fait de devenir père ou mère d’un être qui n’est pas son enfant biologique, qui a une histoire antérieure et une apparence physique souvent différente. Pour l’enfant, c’est la confrontation à des repères identitaires multiples : ceux de la famille d’origine et d’adoption. Mais aussi la question du lien entre son identité personnelle et sa généalogie ainsi que l’univers culturel dont il est issu et sur lequel il sait souvent peu de choses. La question des origines reste à cet égard un des éléments majeurs de la construction identitaire de l‘enfant adopté.
Pour le(s) migrant(s), au-delà des changements liés aux obstacles rencontrés lors du parcours migratoire ou d’exil, il s’agit d’intégrer à son identité un statut précaire de demandeur d’asile ou de sans-papier, ainsi que les changements culturels (codes, langue, rites…) auxquels il est confronté le temps de son séjour dans le pays d’accueil. Ainsi, outre le fait de vivre une situation dévalorisante accompagnée parfois d’un sentiment de non-identité (car pas d’identité légale), l’immigré doit développer sans cesse des stratégies d’adaptations aux nouveaux milieux. Dans ce sens, il négocie en permanence son identité.
En conclusion
À travers les différentes versions de son histoire récoltées par le biais de témoignages (nounous, historiens, etc.), Sylvain trouve des éléments de réponse partiels à ses questions identitaires. La découverte de « son » Rwanda, à travers notamment la rencontre avec l’Autre, dans leur langue, permet sans doute d’échapper aux fantasmes et de reconstruire par bribes un parcours personnel marqué par le conflit, la séparation puis l’adoption.
Néanmoins, il y a un fossé entre son enthousiasme de départ et l’absence d’émotion visible qu’il manifeste au cours du voyage. Toute plongée vers ses racines opère une intensification du rapport à soi. Ainsi la quête identitaire, par les questions qu’elle soulève, n’est vraiment pas simple. Sylvain lui-même semble tiraillé entre deux cultures.
Extrait du documentaire Des Cendres dans la Tête
Patrick, le réalisateur, dit avoir découvert des pans entiers de sa propre histoire, celle de son pays. Ce constat, entremêlé au fait que sa mère est née à la frontière entre le Congo et le Rwanda à l’époque coloniale et aux représentations qui émergent par rapport à la culture rwandaise lors du tournage de ce documentaire, confère à son identité un caractère moins figé.
L’identité est donc étroitement liée à la culture. Deux notions éminemment complexes. Elles forment un puzzle aux pièces si nombreuses et dont il est parfois malaisé de définir les contours qu’il est pratiquement impossible de le recomposer entièrement. Ne pas prendre en compte cette complexité peut mener à des dérives dangereuses.
Pour aller plus loin
En théorie :
Pour explorer la thématique des migrants et des réfugiés, le CIRE propose des outils pertinents.
En pratique :
Pour creuser les questions liées à l’adoption ou aux origines, il existe une série de 3 albums de bande dessinée parus chez Quadrants que vous pouvez faire lire à vos élèves : Couleur de peau : miel. L’auteur Jun Jung-Sik est né en Corée avant d’être adopté en Belgique. Un documentaire autobiographique en est d’ailleurs tiré.
Une animation dynamique, plaisante et efficace pour aborder l’identité avec ses élèves : la molécule de l’identité, développée par l’Organisation européenne de formation par les pairs (EPTO).