Dans ce documentaire : « Toutes les histoires belges ne font pas rire. Celle-ci commence au Rwanda, le 13 avril 1994, en plein génocide. (…) Le monde entier est en train de tourner le dos au Rwanda. Le héros de cette histoire, c’est lui, Georges Célis, un Liégeois. Il obtient in extremis que les paras belges assument une dernière mission. Les 16 enfants rwandais qu’il héberge dans un home en pleine brousse, les Erythrines, décrochent ainsi un billet pour la Belgique, synonyme d’un droit de survivre. »
Questions pour les élèves : C’est quoi, un acte citoyen ? Connaissez-vous des actes citoyens qui sont restés dans l’histoire et dont on parle encore aujourd’hui ?
En vertu de la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948), les citoyens naissent et demeurent libres et égaux en droits. À partir du XVIIIe siècle et dans la foulée des révolutions démocratiques, les citoyens se sont dotés de droits civils (liberté de conscience, de culte, d’expression, de presse…), de droits politiques (vote et éligibilité), puis de droits sociaux (sécurité sociale, congés rémunérés…).
Comprendre, choisir, agir
Si le droit de vote demeure sans doute un des exemples les plus connus et symboliques en termes d’engagement au niveau communal, provincial, régional, fédéral et européen, aujourd’hui le concept de citoyenneté s’entend de manière beaucoup plus large. Il permet aux individus de participer à la vie démocratique et aux décisions d’intérêt général. Or, l’exercice de la citoyenneté confère à chacun une responsabilité individuelle. Participer à la vie de la société et prendre part aux décisions collectives de façon respectueuse de tous, c’est d’abord mener une réflexion critique, pour pouvoir prendre position et poser des choix tout en mesurant les conséquences de ses actes.
Être un citoyen responsable, c’est aussi s’engager. C’est-à-dire prendre position individuellement sur des enjeux collectifs et s’unir à d’autres pour exprimer des revendications communes. Pour faire entendre leur « voix », les individus et les groupes dont ils font partie disposent d’un éventail très large de moyens d’action : manifestations, pétitions, grèves, recours aux médias, réseaux sociaux, etc.
S’engager, c’est aussi joindre la parole aux actes en devenant acteur de la société dite « civile » (ONG, associations, syndicats…). Par ce biais, le citoyen peut défendre ses convictions, ses opinions et agir concrètement en dehors de la sphère de l’État. Il a le choix d’opter pour l’une ou l’autre organisation en fonction de son objet social, de sa philosophie, de son engagement politique ou non. Il peut également créer sa propre association ou mener des actions personnelles. Concernant le génocide des Tutsi, par exemple, il existe de nombreuses associations plus ou moins spécialisées (prévention des conflits, aide aux victimes…). Elles peuvent être importantes et travailler au niveau national, voire international mais les plus nombreuses sont toutes petites, actives au niveau d’une ville, d’un village ou même d’un quartier.
Quand le « je » s’élève seul face au « nous »
La conscience, du latin conscientia, « connaissance », est la faculté de l’homme de connaître sa propre réalité et de pouvoir la juger. La notion de conscience collective, elle, se rapporte à l’ensemble des opinions, croyances ou convictions partagées par l’ensemble d’une collectivité (société, groupe, nation, etc.) et fonctionne souvent de façon indépendante et dominante par rapport à la conscience individuelle. La conscience du groupe peut développer une force si imposante que le « je » disparaît. Néanmoins, lorsqu’il y a un désintérêt collectif pour une cause, il arrive que des voix s’élèvent en marge du groupe. Ainsi, à travers l’histoire, il y a toujours eu des individus qui malgré la peur et le danger sont allés à contre-courant en assumant leurs idéaux et opinions.
Ce qui m’effraie, ce n’est pas l’oppression des méchants ; c’est l’indifférence des bons
Martin Luther King
Incarne le changement que tu souhaites voir dans le monde
Gandhi
Travaillons ensemble pour soutenir le courage là où il y a la peur, pour encourager la négociation là où il y a le conflit et donner de l’espoir là où règne le désespoir
Nelson Mandela
Au Rwanda, lorsque les 10 paras belges ont été assassinés le 7 avril 1994, l’opinion publique belge a suivi de près cet épisode qui a suscité plus d’émoi que les massacres de Tutsi qui ont pourtant fait un million de morts dans les trois mois qui ont suivi cet évènement.
Comment expliquer le manque de prise de conscience et le désintérêt collectif face au génocide qui se perpétrait à l’époque ? Patrick, le réalisateur qui a accompagné Sylvain au Rwanda, avait une quinzaine d’années au moment du génocide. Et pourtant, à l’époque, il ne se sentait pas vraiment concerné par le drame qui se déroulait sous ses yeux grâce à la télévision. Plus préoccupant encore, sur les bancs de l’université où il a notamment appris l’histoire et la géopolitique, il n’a jamais été informé de ce lien singulier qui unissait la Belgique au Rwanda. Difficile, dans ce contexte, de prendre conscience de la réalité des faits et de se sentir « impliqué » par ce conflit qui se déroulait à 8000 km de là.
En tant que citoyen, n’avons-nous dès lors pas aussi une responsabilité ? Celle, par exemple, de s’informer sur base des sources objectives et subjectives à notre disposition, d’aiguiser notre regard critique, de faire appel à notre mémoire individuelle et à la mémoire collective, pour in fine s’engager et agir.
Ici, la prise de conscience du réalisateur porte sur sa propre méconnaissance des conséquences néfastes de l’histoire coloniale belge. Il réalise avec horreur qu’il est lui-même complètement passé à côté de tout ça « suite à un désintérêt collectif ». Sa réaction, son acte citoyen, c’est ce film «Des Cendres dans la Tête ». Un travail de conscientisation.
Des Cendres dans la Tête : une réponse citoyenne.
De l’indifférence à l’abandon
Quels sont dès lors les facteurs qui ont pu conduire à cette indifférence collective ? Ceux-ci sont complexes et nombreux et ce dossier n’a pas pour objectif d’en donner une liste exhaustive. Néanmoins, quelques points peuvent être soulignés.
Extrait du documentaire Des Cendres dans la Tête, Atome est un comédien rwandais, Anita Munyaneza est journaliste de formation.
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Tout d’abord, le retrait de l’essentiel du contingent de l’ONU, Belgique en tête, n’a pas été sans conséquences sur l’opinion publique. Les Casques bleus assassinés avaient des familles, des enfants, ils œuvraient au service de leur patrie. Parce qu’ils étaient des « leurs », la majorité des Belges se sont fortement identifiés à ces victimes. Dès lors, tous les regards se sont tournés vers cet évènement plutôt que vers les tueries qui se déroulaient dans tout le Rwanda, forgeant une forme de conscience collective ou d’opinion de masse en faveur de l’attitude du gouvernement belge et au détriment de ce qui était présenté comme des massacres interethniques qui se déroulaient « là-bas », en Afrique.
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Dans le même temps, le Rwanda était privé de moyens de communication et les médias internationaux n’ont pas suffisamment rendu compte de ce qui se passait réellement. Ils ont parfois minimisé ou carrément passé sous silence certains faits.
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Depuis le génocide, l’histoire qui lie la Belgique au Rwanda reste à peine évoquée dans les écoles belges. Il est donc compliqué pour les générations les plus jeunes de se sentir concernées par ce drame.
La prévention des génocides
La prévention des génocides est un processus en plusieurs étapes. La première passe par l'information. Une information fiable qui s’appuie, notamment, sur des faits précis et avérés. Pour cela, il faut évidemment que les observateurs (médias, ONG…) puissent avoir accès aux lieux mêmes où se déroulent ces exactions. Or, c’est souvent compliqué sachant que les bourreaux dissimulent leurs actes. La deuxième étape de ce processus est l'indignation. Et la troisième, l’intervention. Avec deux acteurs clés : les médias et les gouvernements en place qui peuvent intervenir, voire contrôler ce processus.
Aujourd’hui, a posteriori, il est peut-être plus facile de se forger sa propre opinion en croisant différentes approches, en confrontant les sources : mémoire individuelle du souvenir, témoignages, livres, sites web…
Cette nécessité de prise de conscience collective et individuelle est plus que jamais d’actualité face aux processus de haine qui peuvent ressurgir à travers le monde. D’autant qu’aujourd’hui, grâce à Internet (et notamment aux réseaux sociaux), le citoyen peut obtenir une information quasi en temps réel, mais aussi (inter)agir avec d’autres citoyens et se mobiliser rapidement s’il le souhaite.
En conclusion
La responsabilité accablante des États
Les responsabilités internationales dans le génocide des Tutsi au Rwanda sont lourdes et accablantes. De son côté, la Belgique porte une double responsabilité : dans la genèse et le déroulement du génocide. Ainsi, tous les interlocuteurs que le journaliste et son cousin Sylvain croisent au cours du film leur détaillent le rôle que le colonisateur a joué dans ce long processus depuis son arrivée sur le sol rwandais. Du bouleversement d’une société qui avait mis des siècles à se construire, à la division de ses citoyens par la création d’une carte d’identité ethnique basée sur des critères racistes.
Ces différents témoignages, qui entachent sa mémoire et ternissent l'image qu’il se faisait de la Belgique, plongent le jeune réalisateur dans l'horreur et suscite chez lui la révolte. Mais les dommages causés par la Belgique ne s’arrêtent malheureusement pas au passé colonial. C’est en 1994, des années après l’indépendance, que se produit le pire événement. Après l’assassinat des dix Casques bleus qui a traumatisé le pays, le gouvernement belge de l’époque décide de retirer précipitamment l’ensemble de son contingent de la MINUAR (Mission des Nations unies pour l’Assistance au Rwanda). Parallèlement, il exerce des pressions diplomatiques sur les autres pays présents au Rwanda pour qu’ils retirent également leurs troupes.
Et pourtant, la « machine à tuer » était en marche et les signes avant-coureurs n’avaient pas manqué : distribution d’armes partout dans le pays, création de milices, existence de listes de Tutsi et Hutu modérés, disparitions, etc. La Belgique et les États occidentaux ne pouvaient pas l’ignorer.
D’autres États impliqués
Toutefois la Belgique n’est pas seule en cause. La France a soutenu jusqu’au bout le régime du président Habyarimana. Elle était en outre le seul pays à reconnaître le gouvernement intérimaire dont faisaient partie les planificateurs du génocide. Elle a enfin accueilli la veuve du président rwandais à qui François Mitterrand, le président de l’époque, a octroyé une enveloppe financière non négligeable pour ses frais personnels. La France a également lancé la très controversée Opération turquoise.
De leur côté, les États-Unis traumatisés par l’échec de leur mission en Somalie ne voulaient plus prendre de risques. Le gouvernement américain a d’ailleurs longtemps parlé d’actes de génocide, se refusant d’utiliser le terme de génocide qui l’aurait obligé à intervenir. En outre, une intervention dans un si petit pays africain ne présentait aucun intérêt pour eux.
Enfin, les Nations unies n’ont pas livré au Conseil de sécurité de l’ONU les informations dont elles disposaient. Or, l’envoi d’un contingent de 5000 soldats aurait sans doute suffi à éviter le pire. A contrario, les tueurs ont eu la voie libre pour éliminer en trois mois 75% de la population tutsie du Rwanda.
La prise de conscience passe par la volonté de s’informer, de reconnaître et de comprendre les faits dans leur complexité tels que ceux qui, comme au Rwanda, ont conduit à l’innommable. Dans ce sens, nous avons tous une responsabilité en tant que citoyen, celle de combattre autant que possible l’indifférence. Face aux violations des droits de l’homme, chacun a le droit, voire le devoir, d’agir.
L’enseignement a évidemment un rôle clé à jouer dans cet éveil citoyen. Il serait naïf de penser que les jeunes peuvent d’eux-mêmes se sentir concernés par toutes les injustices du monde. Tant que la triste histoire qui a conduit au génocide des Tutsi au Rwanda ne sera pas davantage enseignée dans nos écoles, il est peu probable que les citoyens de demain soient aptes à développer un regard critique sur cette question.
Agir c’est d’abord voter et élire nos représentants. Ainsi, le droit de vote est un fondement de la démocratie. Ce droit est aussi un devoir. D’où l’importance de sensibiliser les jeunes au sens du vote et ses dérives (soutien à des partis liberticides ou d’extrême droite, risques de l’abstentionnisme, rejet du politique…)
Agir en citoyen responsable, c’est aussi s’informer, confronter les points de vue, développer un esprit critique, lutter contre nos stéréotypes et s’efforcer de les déconstruire en cherchant d’où ils viennent.
Enfin, être un citoyen averti, c’est aussi exiger de nos décideurs une éthique, un sens de l’intérêt commun. La prise de conscience passe par la vigilance permanente.
Pour aller plus loin
En théorie :
De manière générale, le CRISP constitue une source d’informations pertinente sur les questions qui touchent à la citoyenneté. Le Centre de recherche et d’information socio-politiques est un organisme indépendant qui a pour objet l’étude de la décision politique en Belgique et dans le cadre européen. Les travaux du CRISP s’attachent à montrer les enjeux de la décision politique, à expliquer les mécanismes par lesquels elle s’opère, et à analyser le rôle des acteurs qui y prennent part, que ces acteurs soient politiques, économiques, sociaux, associatifs… Les sujets étudiés englobent l’ensemble de la vie politique, sociale et économique : à côté des partis politiques, des organisations représentatives d’intérêts sociaux et des divers groupes de pression, le CRISP étudie les groupes d’entreprises, qui sont les structures les plus importantes du pouvoir économique. L’information du public se réalise notamment par la voie de publications à caractère pédagogique.
Espace-Citoyen.be est le portail de la citoyenneté en Communauté française. Il vise à encourager une citoyenneté active chez les jeunes. Ce site propose des dossiers pédagogiques et des animations autour de thèmes tels que la Belgique, les droits humains, les médias, les enjeux internationaux (avec notamment une rubrique Mémoire & Histoire qui aborde la colonisation).
La Fondation Roi Baudouin propose quant à elle un dossier sur la démocratie offrant les bons outils pour parler en classe de l’importance de la politique.
En pratique :
Amnesty International propose un dossier richement documenté et une série d’activités pédagogiques liées à la Déclaration universelle des Droits de l’Homme : « Les droits humains, je les dis, je les vis ».
Avec ou sans sel est un outil de sensibilisation et de réflexion sur le thème de la démocratie actuelle, des dangers qui la menacent et de l'importance de l'engagement citoyen et de la responsabilité individuelle, destiné aux 15 ans et plus. L'outil, composé du DVD du court-métrage Avec ou sans sel réalisé par des jeunes de 14 à 18 ans issus de services d'AMO, et d'un classeur pédagogique, est organisé autour de trois thèmes principaux : l'identité, la démocratie et la citoyenneté, et l'extrême droite. Le tout articulé en 18 animations didactiques et ludiques.
D’autres ressources pédagogiques sont disponibles sur le site d’Annoncer la couleur.
En actes :
À côté des grandes ONG telles qu’Amnesty International, l’Unicef, etc., les jeunes peuvent s’informer, voire s’engager, auprès de quelques petites associations dont les activités s’inscrivent dans la suite du génocide des Tutsi au Rwanda.
Contacts IBUKA asbl - Mémoire et Justice, rue de la Prévoyance, 58 B-1000 BRUXELLES Courriel : info@ibuka.net