Questions pour les élèves : Avez-vous déjà eu l’impression qu’un média ne vous disait pas la vérité sur un évènement ?
Utilisés à des fins partisanes, les médias peuvent conditionner la population et l’amener à adhérer à une idéologie ou à une prise de position. Ce sont de véritables outils qui peuvent être récupérés ou intentionnellement créés par diverses entités et utilisés pour influencer l’opinion publique dans sa perception d’un conflit ou d’une crise
Certains analystes avancent même que chaque déclaration de guerre ou intervention dans un État tiers non consentant est toujours précédée d’un média mensonge, visant à faire adhérer l’opinion publique à ces velléités bellicistes, les vrais motifs de ces attaques étant souvent peu avouables.
Hate Radio, une pièce de Milo Rau qui permet de ressentir la haine propagée par la RTLM.
Dans certains cas extrêmes, ces entités ne se contentent pas de l’aval du public mais veulent en faire leur complice afin de minimaliser leurs propres responsabilités. À travers les médias, ils créent ou exacerbent au sein de la population des sentiments extrémistes menant à des discriminations, voire même participant au déclenchement de conflits.
Au Rwanda, les extrémistes hutus au pouvoir ont créé, dès le début des années 1990, un certain nombre d’organes de presse, appelés aujourd’hui les « médias de la haine ». Ils furent des éléments déterminants dans le dispositif qui a permis la planification et l’exécution du génocide des Tutsi.
Ces médias ont tout d’abord été utilisés pour diffuser divers stéréotypes raciaux et des appels à la haine à l’encontre des Tutsi puis ont ensuite été transformés en véritables « machines à faire tuer » dès le déclenchement des premiers massacres en avril 1994.
Avant le génocide : l’incitation à la haine
Dans l’excitation de l’ouverture vers une démocratie multipartite enclenchée au début des années 1990, la presse rwandaise connut une certaine libéralisation qui donna naissance à plusieurs nouvelles publications. Mais bien vite, les journaux engagés qui dénonçaient les abus du pouvoir en place ont été évincés et remplacés par une presse loyale au pouvoir mais incendiaire à l’égard des Tutsi.
À travers des articles provocants et des dessins humoristiques pervers, ces journaux vont s’attacher d’une part à diaboliser et déshumaniser les Tutsi et d’autre part à créer un sentiment de peur et d’insécurité chez les Hutu, opérant chez eux un véritable lavage de cerveaux.
Parmi ces journaux, le plus virulent et vindicatif fut le journal Kangura. En décembre 1990, c’est lui qui publia les fameux «Dix commandements des Bahutu». Ce brûlot est un appel à la ségrégation des Tutsi et à la séparation totale et définitive des deux ethnies. Tout Hutu qui aurait un quelconque rapport avec un Tutsi serait considéré comme un traître. Les Hutu sont également appelés à s’unir et à rester vigilants contre leur ennemi commun. Cet écrit tient particulièrement à mettre les Hutu en garde contre le danger de côtoyer les femmes tutsies.
Régulièrement dépeintes par les « médias de la haine » comme des créatures diaboliques travaillant à la solde de leur ethnie en usant de leurs charmes physiques, ces dernières feront plusieurs fois l’objet d’articles insultants et de caricatures obscènes. Des représentations qui expliquent en partie les inimaginables sévices sexuels que subiront nombre d’entre elles pendant le génocide.
En 1993, un dernier acteur et non des moindres vient s’ajouter à ce dispositif propagandiste. Créée et financée par les membres de l’Akazu, la Radio Télévision libre des Mille Collines (RTLM), radio jeune et branchée, attire immédiatement un large public grâce à son style impertinent et sa programmation musicale. Entre des émissions de divertissement, ses animateurs vont entretenir la tension au plus haut en excitant les sentiments les plus extrêmes et les plus haineux.
Jeune et branchée, la Radio Télévision libre des Mille Collines
va attirer un public nombreux et populaire.
Pendant le génocide : l’incitation aux massacres
Dès le début des massacres, la radio est utilisée pour transmettre les instructions aux milices et encourager le « travail » des tueurs. La RTLM mais aussi Radio Rwanda donnent des informations quotidiennes sur le déroulement des massacres dans les différents quartiers de Kigali. Leurs animateurs se réjouissent d’annoncer les noms de ceux qu’on a déjà exterminés et donnent des renseignements sur ceux qui figurent encore sur les « listes » et qui se cachent.
Le son original de la radio de la haine.
Les radios se sont également adressées aux Hutu ordinaires, les appelant à participer activement aux tueries. Présentant l’attentat contre l’avion du président Habyarimana comme l’œuvre du FPR et de leurs complices tutsis, elles ont encouragé les Hutu à exterminer les Tutsi afin de venger le « Père de la Nation ».
Il était régulièrement rappelé aux Hutu que les combattants du FPR étaient les fils des Tutsi qu’ils ont laissés s’enfuir en 1959 et qu’il était donc vital en 1994 de ne plus en laisser aucun vivant, de les exterminer tous, jusqu’à l’enfant encore dans le ventre de sa mère.
En conclusion
Au Rwanda, « les médias de la haine » ont joué un rôle primordial dans le processus qui a préparé et exécuté le génocide. Instruments du dispositif génocidaire, ils ont transformé des hommes et des femmes ordinaires en bourreaux impitoyables.
Créés et utilisés par un État génocidaire, ces médias ont manipulé l’opinion publique. Jouant sur un certain nombre de stéréotypes déjà existants dans la société, la presse écrite et radio a suscité la méfiance et la haine envers les Tutsi, justifiant la nécessité vitale de s’en débarrasser.
Sans en arriver nécessairement à ce genre de situations extrêmes où les médias constituent un instrument de propagande au service d’une entité politique, leur rôle de « passeur d’information » fait d’eux des acteurs très influents de la vie sociale.
Pour aller plus loin
En théorie :
Ouvrage à lire pour mieux comprendre le rôle joué par les médias lors du génocide des Tutsi au Rwanda : Rwanda : les médias du génocide, Jean-Pierre Chrétien, Paris, Karthala, 2000.
En pratique :
À imprimer pour afficher en classe, ce panneau explicatif sur la planification d’un génocide.