Questions pour les élèves : Pensez-vous qu’il soit possible de pardonner à une personne qui vous a enlevé un être cher ou qui vous a brutalisé ? Que pensez-vous de ces crânes exposés au Rwanda dans les sites mémoriaux ? Est-ce impudique de la part des autorités rwandaises ?
Le Rwanda d’après génocide était constitué de communautés assez divisées avec des récriminations et revendications bien différentes. Instaurer un « vivre ensemble » pacifique constituait dès lors un défi à relever, d’autant plus qu’il fallait éviter que les rancœurs n’appellent la vengeance et n’aboutissent à de nouvelles situations de conflits.
Afin de lancer les jalons d’un nouveau Rwanda, le gouvernement s’est alors lancé dans un vaste programme « unité et réconciliation », sans pour autant mettre de côté le nécessaire travail de mémoire à l’égard du génocide et de ses victimes.
L’identité rwandaise comme nouvelle référence
Aujourd'hui, officiellement au Rwanda, il n'y a plus de Hutu, de Tutsi ou de Twa : juste des Rwandais.
En 1999 fut créée la Commission nationale pour l’Unité et la Réconciliation (CNUR).
Puisant dans les pratiques traditionnelles rwandaises, plusieurs outils de communication et de promotion ont été développés. Ils ciblaient différentes catégories sociales, comme les membres du gouvernement, les hauts cadres publics et privés, les étudiants, les leaders d’opinion, les ex-milices et combattants rentrés du Congo, les anciens prisonniers ou encore les survivants du génocide.
Parmi ces outils figurent les « camps de solidarité » connus sous le nom d’ « ingando ». Dans ces camps, les participants reçoivent un enseignement tourné vers l’histoire du Rwanda, le développement du pays, les politiques de réconciliation et, surtout, sont encouragés à jouer un rôle actif dans la reconstruction du pays.
La participation à ces camps est notamment requise pour les jeunes diplômés d’écoles secondaires désireux d’intégrer les écoles supérieures publiques. Elle est également obligatoire pour les coupables du génocide libérés de prison, avant qu’ils ne puissent réintégrer leurs foyers. Entre 1999 et 2010, 90 000 personnes y ont pris part.
Certains y voient cependant une opportunité de propagande du gouvernement actuel conduisant à un endoctrinement plutôt qu’une adhésion réfléchie et volontaire à la politique d’unité nationale.
Un autre élément qui pourrait entraver l’avènement d’une réconciliation nationale effective et totale, c’est le passage sous silence au Rwanda de crimes non directement liés au génocide commis à l’égard de populations hutues. On parle ici de crimes commis par l’armée du FPR au moment de la guerre de libération du Rwanda et aussi de massacres commis par la nouvelle armée du Rwanda dans sa pacification du pays après le génocide et lors de la fermeture des camps de réfugiés au Zaïre en 1996.
La réconciliation réelle ne peut s’envisager que sur le long terme et son processus doit être clairement compris et individuellement accepté par toutes les parties concernées.
Or, même si les plaidoyers de culpabilité avec aveux à la clé ont été à la base de la réussite des « gacaca », bon nombre de coupables, qui ont avoué les crimes commis et présenté des excuses, n’affichaient pas le moindre signe de remords ou de regrets. Les survivants, quant à eux, ont été quelque part forcés d’accepter ces excuses malgré ce manque flagrant de sincérité car nul ne tient à être officiellement en mauvais termes avec son voisin, même si c’est un tueur.
En milieu rural rwandais, les gens sont obligés de vivre ensemble quel que soit leur passé. L’entraide et la bonne entente, réelle ou prétendue, sont indispensables dans une relation de voisinage car la collaboration du voisin est nécessaire pour exécuter la plupart des tâches du quotidien.
Depuis 1994, en dehors des programmes chapeautés par la CNUR et diverses autres actions entreprises par des associations non gouvernementales, l’ensemble des mesures prises par le Rwanda va dans cette direction : se débarrasser des poids néfastes du passé pour avancer vers un avenir commun.
C’est dans ce cadre qu’a été promulguée une nouvelle Constitution en 2003, affirmant l’égalité entre tous les Rwandais ainsi que la suppression de la mention ethnique sur la carte d’identité nationale.
Témoigner pour ne pas oublier
L’impératif de réconciliation ne veut cependant pas dire qu’il faudrait oublier ce qui s’est passé. La recherche de la vérité était d’ailleurs la principale motivation des survivants dans leur participation aux « gacaca », notamment en ce qui concerne les lieux où les tueurs ont abandonné les corps de leurs victimes.
Enfouis dans des fosses communes, jetés dans les cours d’eau, les lieux d’aisance, abandonnés à la merci de chiens errants, vingt ans plus tard, les restes de corps de victimes non identifiées continuent à être retrouvés.
Les premiers corps découverts dans les lieux publics ou dans des fosses communes furent inhumés en privé par les proches des victimes. Par après, devant l’ampleur des charniers, des inhumations officielles vont être organisées et les corps seront enterrés en des lieux précis constitués en sites mémoriaux.
Le Rwanda compte aujourd’hui des centaines de tels sites. La plupart sont de simples édifices dédiés à la mémoire des victimes mais d’autres sont de véritables musées du génocide constituant de hauts lieux de mémoire et de témoignage.
À l’intérieur des bâtiments sont exposés les restes de corps de victimes dont les postures expriment encore le martyre vécu. Sont exposés également divers objets trouvés sur les corps : vêtements, documents d’identité, bijoux… mais aussi les armes qui ont servi à leur mise à mort.
Visités par des Rwandais et par des étrangers, individuellement ou en groupes organisés, ces mémoriaux peuvent apparaître comme une macabre exhibition d’autant plus que ces sites sont maintenant référencés sur des circuits de visites touristiques par certaines agences de voyage locales et internationales.
Pourtant, l’exposition de ces crânes et ces restes de corps suppliciés constitue un témoignage essentiel de ce qui s’est passé au Rwanda. Ils montrent le degré de barbarie que l’homme est capable d’atteindre. C’est une preuve tangible que l’horreur suprême est possible et qu’il faut prendre des mesures pour la prévenir avant qu’elle ne se réalise. En ce sens, ces mémoriaux ont également une visée éducative, en particulier le Mémorial de Gisozi qui, construit dans le même esprit que le Mémorial Yad Vashem en Israël, constitue le plus grand centre d’information sur le génocide des Tutsi.
Chaque année, les différentes cérémonies de commémoration constituent l’autre grand moment dédié à la mémoire du génocide. Même si la semaine officielle de commémoration dure du 7 au 13 avril, des cérémonies de mémoire sont organisées jusqu’au 4 juillet.
En plus des cérémonies officielles organisées à l’échelle nationale ou au niveau des administrations locales, des associations de rescapés organisent des commémorations plus spécifiques, dédiées aux victimes originaires d’une même région ou qui ont péri ensemble en un endroit précis. On voit également de plus en plus d’entreprises ou autres institutions organiser des cérémonies en hommage à leurs collègues disparus.
Si les cérémonies officielles sont empreintes d’un discours fort politisé, les cérémonies organisées par les survivants sont l’occasion pour eux de se rappeler des leurs, de partager leurs histoires douloureuses et traumatisantes, de s’encourager mutuellement en se donnant des messages d’espoir.
C’est également une occasion de rappeler au monde que ce qui s’est passé a bien eu lieu et que jamais il ne faudra qu’on l’oublie.
En conclusion
Les différentes mesures entreprises par le Rwanda soulignent son besoin d’avancer en laissant derrière lui le poids du passé.
Cependant, atteindre une véritable unité nationale durable constitue encore une gageure. Elle ne pourra jamais être atteinte tant que des zones d’ombre persisteront, tant que toute la vérité ne sera pas dite et tant qu’il n’y aura pas une volonté clairement exprimée de la part de toutes les parties d’avancer ensemble.
Pour aller plus loin
En théorie :
Au Rwanda a été créée une Commission nationale de lutte contre le génocide. Son site peut être exploré ici.
Dominique Celis a écrit Gêneurs de survivants ! La question du génocide des Tutsi qui raconte notamment pourquoi les victimes du génocide ne sont pas toujours traitées comme elles le mériteraient. (Dominique Celis, collection « Liberté, j’écris ton nom », Bruxelles, 2012.)
Malheureusement en anglais seulement, l’ONU a publié une bande dessinée pédagogique sur le thème particulier de l’unité et de la réconciliation après le génocide des Tutsi au Rwanda.
Écoutez et faites écouter à vos élèves les témoignages troublants d’Esther et d’Immaculée, survivantes du génocide des Tutsi. Ces propos sont recueillis par la radio de l’ONU.
En pratique :
À imprimer et afficher en classe, voici un panneau d’exposition sur la reconstruction des victimes du génocide (édité par les Nations unies).
En actes :
Et pourquoi pas un voyage scolaire au Rwanda pour visiter l’un des sites mémoriaux qui sont parsemés à travers le pays ? À commencer par le très efficace Memorial Center de Gisozi.