Questions pour les élèves : D’après vous, quelle serait la peine adaptée pour que justice soit rendue aux victimes d’un génocide ?
Les gacaca : une solution innovante pour rendre une justice locale et populaire.
Face à de tels massacres, à une telle barbarie et à la détermination des bourreaux, plusieurs questions se sont posées, notamment en ce qui concerne la forme de justice qui serait acceptable en ce genre de situation. Et quelle en serait la finalité ? La punition ? La responsabilisation ? La volonté de faire cesser la culture d’impunité ? La réparation ?
Au Rwanda, rendre justice aux victimes du génocide s’est traduit avant tout par l’éradication de cette culture de l’impunité qui a perduré depuis 1959. La justice a également permis de faire jaillir la vérité sur les dessous du génocide, une vérité sans laquelle toute réconciliation serait inenvisageable.
Après avoir tenté la voie d’une justice pénale classique, la quantité exceptionnelle de personnes à juger a poussé le gouvernement à solliciter un autre système judiciaire, basé sur un mécanisme juridique traditionnel. Cette méthode ayant l’avantage de proposer une justice dite « restauratrice ».
Un crime difficile à juger
Défini comme l'extermination intentionnelle d'un groupe ou d'une partie d'un groupe en raison de ses origines ethniques, religieuses ou raciales, le génocide est un crime dont la prévention et la répression ont été établies par la Convention sur le génocide de 1948.
Sur le plan juridique, trois génocides sont reconnus par les instances internationales : celui des Arméniens dans l’Empire ottoman en 1915, celui des Juifs et des Tziganes par l’Allemagne nazie et celui des Tutsi au Rwanda en 1994.
Utilisé parfois de façon abusive en référence au nombre important de victimes d’un massacre de masse, le génocide est un crime dont l’intention criminelle est l’élément clé. Or, la preuve de cette intention n’est pas toujours évidente à établir, même dans les cas où la participation aux massacres d’un accusé est attestée.
Ensuite, le génocide n’est jamais un acte individuel. C’est un crime massif, planifié par un État qui entraîne tout un groupe dans son entreprise meurtrière avec, pour résultat, la dilution de la culpabilité de chacun. D’une certaine manière : si tout le monde est coupable, plus personne n’est coupable.
Dans le cas du Rwanda, environ 120 000 personnes se sont retrouvées emprisonnées et accusées de participation au génocide.
Le recours à la justice pénale
Le Tribunal pénal international pour le Rwanda
Juste après le génocide, le Rwanda ne disposait pas d’un mécanisme judiciaire opérationnel et n’était pas en mesure de juger lui-même les auteurs du génocide. En novembre 1994, le Conseil de sécurité de l’ONU approuva la création d’un Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) sous le même modèle que celui qui avait été créé pour juger les criminels de guerre de l’ex-Yougoslavie. Le tribunal fut établi à Arusha, en Tanzanie, la ville qui avait donné son nom aux accords de 1993 entre le FPR et le gouvernement Habyarimana.
Le tout premier verdict du TPIR sera la condamnation, en 1997, d’un ancien bourgmestre, Jean-Paul Akayesu, reconnu coupable pour crime de génocide et de viol. Pour la première fois en droit international, le viol sera reconnu comme arme systématique contre les femmes en tant que crime contre l’humanité.
En 1998, l’autre fait marquant des procès du TPIR fut la condamnation à la prison à perpétuité de Jean Kambanda, Premier ministre au moment du génocide. C’était la première fois qu’un chef d’État était condamné pour le crime de génocide.
Entre le premier procès et la fin des travaux en 2012, le tribunal a jugé 75 personnes accusées de génocide, de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre. 65 d’entre elles ont été reconnues coupables et condamnées, tandis que 10 ont été acquittées. Des chiffres bien dérisoires par rapport au nombre de personnes accusées de génocide au Rwanda.
Se déroulant dans un contexte très éloigné de la réalité rwandaise, la justice rendue par le TPIR a été vue par certains comme une justice de luxe menée par des personnes qui ne connaissent pas le Rwanda. Par ailleurs, ces procès auxquels, vu la distance, les victimes ne pouvaient pas participer, n’ont jugé que des dignitaires et non pas les bourreaux ordinaires.
En conséquence, les procès du TPIR ne pouvaient ni répondre au besoin de justice des victimes, ni participer au processus de réconciliation.
Les tribunaux nationaux
Son système judiciaire remis en place, le Rwanda a pu commencer en 1996 le travail de juger les coupables du génocide. Jugés par des cours spéciales créées au sein du système judiciaire, les accusés étaient séparés en quatre catégories selon le degré de leur participation présumée aux crimes commis.
Une échelle de peines correspondait à chaque catégorie : de la peine capitale pour les cas les plus graves à aucun emprisonnement pour les moins impliqués.
Le jugement le plus marquant fut la condamnation à mort de 22 détenus classés dans la première catégorie qui furent exécutés publiquement devant des milliers de spectateurs exprimant leur satisfaction de voir la justice enfin rendue. La peine de mort sera abolie en 2008.
Il apparut très vite que ce système ne suffirait pas pour juger tout le monde. En deux ans, sur les 120 000 personnes emprisonnées, seules 500 avaient pu être jugées. À ce rythme, il aurait fallu des siècles afin que tous les suspects puissent passer en justice.
Une justice participative et restauratrice
Afin d’accélérer ces procédures, le Rwanda lança en 2002 des tribunaux locaux inspirés d’un mécanisme traditionnel appelé « gacaca », qui servait historiquement à résoudre des querelles communautaires.
« Les collines parlent », un film documentaire du Belge Bernard Bellefroid qui illustre toute la complexité des jugements gacaca.
Ce nouveau mécanisme avait plusieurs objectifs : mettre un terme à l’impunité, rechercher la vérité sur ce qui s’est passé et établir un dialogue entre victimes et coupables en vue d’une indispensable réconciliation sociale.
Les « gacaca » renvoient à un mode de résolution des conflits faisant partie intégrante de la culture rwandaise, dont les atouts majeurs sont leur dimension participative et leur finalité restauratrice.
La dimension participative des « gacaca » tient à la possibilité pour toutes les personnes présentes au procès de participer au débat. Sa capacité de restauration du tissu social permet quant à elle de renouer le dialogue entre des populations profondément divisées.
Les « gacaca » devaient donner au suspect la possibilité d’avouer son crime, d’exprimer son repentir et de demander pardon. L’acceptation de la confession menant à une réduction de peine.
En conclusion
Face à la difficulté des juridictions pénales classiques de prendre en charge tous les dossiers des suspects du génocide, le « gacaca » est apparu comme un système plus rapide permettant de désengorger les prisons surpeuplées.
Par ailleurs, le « gacaca » paraissait être une justice plus proche géographiquement et culturellement, rendue au vu et au su de tous, ayant plus de chances qu’une autre de jeter les bases d’une vie nouvelle ensemble.
Cependant, ce système n’est pas exempt de reproches. Il y a eu des cas avérés de corruption et de partialité de certains juges, d’accusations illégitimes et de violences à l’égard des témoins. On a surtout reproché au « gacaca » d’être une justice expéditrice qui a permis de libérer un nombre important de suspects sans qu’il y ait eu de véritable réparation à l’égard des victimes.
Pour aller plus loin
En théorie :
Pour savoir ce que disent les Nations unies, il est possible de lire sur leur site la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide.
Plus parlant sans doute, plus touchant certainement, le film documentaire Rwanda, les Collines parlent réalisé par le Belge Bernard Bellefroid (Dérives, Belgique, 2006).
En pratique :
À imprimer et afficher en classe, voici un panneau d’exposition sur les responsabilités d’un génocide (édité par les Nations unies).