L’étincelle
Extrait des rushes du documentaire Des Cendres dans la Tête
Le soir du 6 avril, le Président Habyarimana meurt dans un attentat. Son avion est abattu au-dessus de Kigali. Très vite, l’armée rwandaise, la gendarmerie et les milices sont mobilisées. La folle machine du génocide est en marche.
Planifié bien avant la mort du Président, le génocide s’est organisé par étapes : entraînements paramilitaires dispensés aux miliciens, distributions d’armes à la population et établissements de listes de personnes ciblées, qui seront d’ailleurs directement tuées dès le 7 avril.
Parmi ces personnes, des Tutsi connus mais aussi les personnalités hutues démocrates favorables aux accords d’Arusha, dont le Premier ministre, Agathe Uwilingiyimana, et les dix Casques bleus belges qui assuraient sa sécurité.
Le meurtre de ces Casques bleus va provoquer le retrait pratiquement immédiat des troupes belges de la MINUAR, dont la simple présence protégeait pourtant de nombreux Tutsi qui s’étaient réfugiés auprès d’eux. Juste après leur départ, ces familles seront exterminées.
À Kigali, le bâtiment où les 10 soldats belges furent assassinés a été conservé en l’état.
C’est aujourd’hui un mémorial.
L’organisation du « travail »
À la tête du pays, un nouveau gouvernement est rapidement mis en place et tous les préfets sont convoqués à Kigali afin de recevoir des consignes sur l’organisation du « travail » à chaque échelon administratif. « Travail », c’est le terme qui était employé pour évoquer l’extermination des Tutsi. Les préfets et bourgmestres hostiles à ce processus étaient destitués ou tués.
Les responsables administratifs, bien aidés par la radio, vont susciter et attiser la « colère populaire » et pousser les Hutu à s’en prendre aux Tutsi afin de venger leur Président et se protéger contre le retour de la domination tutsie. Personne ne doit y échapper, y compris les malades, les vieillards et les enfants.
Se croyant à l’abri dans des lieux publics (écoles, dispensaires, églises, stades…), les Tutsi s’y regroupent par milliers. Mais ces refuges deviennent de véritables pièges dans lesquels ils seront enfermés avant d’être massacrés de façon méthodique. Alors que les miliciens armés de machettes, de gourdins ou autres armes de fabrication personnelle encerclent les lieux, les militaires y lancent des grenades ou tirent dans la foule afin de pousser les réfugiés, terrorisés et résignés, à sortir pour être exécutés à la chaîne.
Les tueurs vont également participer à de véritables battues dont les gibiers sont les « cafards », (le surnom donné aux Tutsi). Sur toutes les routes, des barrières sont érigées. Les miliciens y contrôlent les passants, d’après leurs cartes d’identité ou au faciès.
L’ennemi déshumanisé
Dans leur cruauté, les génocidaires veulent exterminer l’ennemi jusqu’au dernier mais ils s’attachent également à nier son humanité. Il s’agit de faire comprendre aux Tutsi qu’ils ne sont pas Rwandais, qu’ils ne sont même pas humains mais seulement des bêtes nuisibles : des «rats», des «serpents», des «cafards».
Dans leur barbarie, les bourreaux vont jusqu’à décapiter des bébés devant leur mère, à séquestrer des filles pour les violer quotidiennement, à forcer un homme à tuer sa propre femme ou ses enfants, à blesser des gens à coups de machettes ou de gourdins avant de les jeter dans des fosses d’aisance où ils meurent à petit feu, à forcer les victimes à creuser leur propre tombe, à tuer les membres d’une famille l’un après l’autre en prenant soin de commencer par les enfants.
Les bourreaux sont stimulés dans leur travail, par la RTLM (Radio Télévision Libre des Mille Collines) qui tout au long du génocide n’a cessé d’encourager les massacres. Contrôlée par la faction extrémiste hutue, cette radio est entendue dans tout le pays et se chargera de stimuler le zèle des « combattants ».
100 jours de terreur
En même temps que le génocide se déroule, la guerre s’intensifie entre les forces gouvernementales et le FPR qui a repris les armes dès le début du génocide. Jour après jour, le FPR gagne du terrain et parvient finalement à prendre le pouvoir et arrêter le génocide.
On est alors le 4 juillet 1994. Le génocide aura duré 100 jours. On estime le total de victimes entre 800 000 et un million. Ce qui en fait tristement le génocide le plus « efficace » de l’histoire.
Juste avant la prise du pouvoir par le FPR, la France lance la très controversée « Opération turquoise » en juin 1994. Une opération dite humanitaire, visant à protéger les Tutsi, mais dont la présence tient à distance les combattants du FPR et permet ainsi aux génocidaires de quitter le pays sous escorte de l’armée française, entraînant avec eux toute une partie de la population hutue. Le FPR récupère donc un pays vidé de la majorité de ses habitants. Entassés dans des camps de réfugiés dans l’est du Zaïre (aujourd’hui République démocratique du Congo), ils connaîtront une terrible épidémie de choléra dès le mois de juillet.