Dans le documentaire : « Quand j’ai démarré ce projet, j’étais persuadé que je travaillais à tourner un film sur mon cousin et ses souvenirs. Je réalise aujourd’hui que je me trompais. Car en creusant la mémoire de Sylvain, en me frottant à son passé, ce que je vais ramener à la surface, ce sont les cendres de ma propre histoire. Celle qui s’écrit avec un grand H. »

Questions pour les élèves : Quels sont les souvenirs de votre enfance ? Pensez-vous avoir des faux souvenirs ? L’impression d’avoir vécu quelque chose alors qu’on vous l’a seulement raconté ? Le sentiment d’avoir ressenti un événement d’une certaine façon alors qu’il s’agit en fait d’une relecture que vous en faites inconsciemment ? Le réalisateur parle d’une Belgique « amnésique », à quoi peut-il faire référence ?

La mémoire est la capacité des individus à accéder au passé et à en conserver les traces. La mémoire individuelle est subjective et affective. Elle est en évolution permanente et oscille entre souvenirs, amnésie et refoulement. Elle participe à la construction de l’identité de la personne. Tout individu aura tendance à recomposer une image du passé qui répond aux besoins du présent.

La mémoire, un disque dur endommagé

« Des Cendres dans la Tête » raconte une double quête dont on ignore laquelle est la plus troublante et la plus hypothétique. Sylvain a peu ou pas de traces de sa petite enfance au Rwanda. Il évoque quelques fragments de son passé de façon éparse. Il croit se souvenir, par exemple, du bus qui l’a conduit à l’orphelinat. Ces images qui subsistent sont des bribes de souvenirs forcément incomplets. Au cours de leur périple, le réalisateur évoque les « zones d’ombre » de la mémoire de Sylvain : il parle du « voyage dans les souvenirs d’un passé que Sylvain avait enterré depuis longtemps pour mieux se protéger » et ajoute que « pendant 14 ans il avait mis le Rwanda très loin au fond de sa mémoire ». Lorsqu’il demande au psychologue Tite Mugrefya si ce type de mise à distance est courant, celui-ci lui confirme que « si on vit quelque chose de désagréable ou d’inhumain par rapport aux origines, on coupe… C’est un processus de défense tout à fait normal. »

Au cours de la quête d’identité qu’est son retour dans son pays d’origine, Sylvain rencontre plusieurs témoins d’une partie de son passé. Son identité fait l’objet de multiples versions. Là où sa mémoire individuelle fait défaut, il s’appuie sur la dimension sociale de la mémoire. Certains souvenirs lui sont rappelés et localisés par les uns et les autres, d’autres plus nombreux demeurent enfouis.

Quelle que soit la façon dont Sylvain a vécu ce voyage, la question des origines (D’où je viens ? Qui sont mes parents ?, etc.) se pose à toute personne adoptée et ponctue les différentes étapes de la vie. Ce retour sur le passé assure la continuité de l’existence et contribue à assurer une harmonie identitaire.

Des amnésies bien choisies

La mémoire collective désigne les faits qui, au-delà de nos propres souvenirs, nous sont rappelés par la collectivité. Elle peut se baser sur des faits réels mais également sur des relectures de l’histoire ou carrément sur des mythes. Elle contribue à forger un sentiment d’appartenance à un groupe qui partage des valeurs communes. Elle varie selon les groupes et est en général transmise et partagée par ceux-ci.


Parfois la mémoire des groupes minoritaires ou dominés est oubliée ou refoulée par la mémoire dominante, par exemple lors de la colonisation. Par ailleurs, la mémoire collective de certaines communautés peut se construire sur des omissions sélectives. C’est sans doute à cela que le réalisateur fait allusion lorsqu’il dit que « même amnésique, la Belgique ne pourra jamais se débarrasser de son passé colonial ». En effet, si ce terme d’amnésie désigne généralement un processus neurologique qui entraîne une perte partielle ou totale de la mémoire de l’individu, il peut aussi s’étendre à la mémoire collective ou officielle.

De manière consciente ou pas, la Belgique a occulté et revisité pendant des années une partie de son passé particulièrement peu reluisante, voire délicate à accepter socialement. Il y a bien eu, en 1997, une Commission d’enquête parlementaire sur les évènements au Rwanda qui a exploré en profondeur les responsabilités belges dans cette sombre histoire mais la publicité donnée à ses conclusions fut tellement anecdotique qu’il n’en reste plus grand-chose aujourd’hui. À peine se souvient-on peut-être que Guy Verhofstadt, alors Premier ministre, est allé implorer le pardon des Rwandais en 2000.

L’histoire comme courroie de transmission de la mémoire

Pour comprendre les crimes de génocide, avec la distance critique indispensable et en s’inscrivant dans une démarche citoyenne, il faut passer par le prisme de l’histoire.

À l’inverse de la mémoire, l’histoire en tant que discipline scientifique se veut objective et rationnelle. Elle analyse et interprète des faits situés dans un contexte donné avec une distance critique qui lui confère un détachement par rapport à tout enjeu politique, ethnique ou idéologique. Dans ce sens, au contraire de la mémoire, elle a une responsabilité éthique à visée universelle qui peut contribuer à rassembler les hommes de diverses origines.

Si l’histoire est en principe une discipline scientifique objective, elle fait toutefois régulièrement l’objet d’une instrumentalisation de la part des pouvoirs en place. On dit souvent d’ailleurs que l’histoire est le récit des vainqueurs. Les motivations et les dérives de la colonisation, par exemple, ont longtemps été « édulcorées » et revisitées. Aujourd’hui encore, les crimes commis par le roi Léopold II au Congo restent mieux connus dans le monde anglo-saxon que par les Belges eux-mêmes.

L’enseignement de l’histoire est donc capital : elle sert de levier dans la formation de l’esprit critique des jeunes afin qu’ils soient capables de confronter les sources, comprendre le passé, se forger un point de vue sur les enjeux présents et leur influence sur l’avenir.

Lieux de mémoire : gloire aux vainqueurs et aux martyrs

La mémoire collective d’un groupe, d’une communauté ou d’une nation peut être représentée par les lieux de mémoire. Ceux-ci peuvent être matériels (monuments aux morts, musées, stèles,…) ou immatériels (figures historiques, commémorations).

Ces lieux participent à la construction et entretiennent la mémoire d’un groupe. Ils donnent une certaine représentation du passé, l’inscrivent dans le présent et influencent le processus identitaire des membres de cette collectivité.

Mais trop souvent ceux-ci sont des monuments à la gloire de la nation et à ses héros, parfois tombés sur le champ de bataille. Or, il est important de considérer également les mémoires refoulées et celles des minorités.

Le Belge qui va à Kigali et ne visite que le Camp Kigali, un mémorial dédié par la Belgique à ses 10 Casques bleus assassinés, n’aura pas la même vision, ni la même compréhension du génocide que celui qui prendra la peine de faire le tour des différents sites de mémoire rwandais. Chacun de ces lieux correspond à une construction de la mémoire différente, à des motivations singulières.

Si l’on pousse l’analyse plus loin, on peut se demander quels non-dits se cachent derrière les monuments à la gloire de la colonisation tels que les statues de Léopold II ou les noms d’anciens colons donnés à certaines rues en Belgique.


En 2008, l'artiste Théophile de Giraud avait repeint la statue équestre de Léopold II pour que ce monument à sa gloire rappelle également que notre ancien roi a du sang sur les mains.


En conclusion

Puisque le passé est passé, les citoyens d’aujourd’hui n’ont pas à se sentir coupables des crimes commis ou des décisions lourdes de conséquences prises au nom de leur pays. Par contre, il relève de leur responsabilité de s’y intéresser, d’essayer de les comprendre, de remettre en cause les discours officiels, d’entretenir le souvenir de ces erreurs et, surtout, d’identifier et comprendre les mécanismes qui ont conduit à l’escalade de la violence.

Car, comme le rappelait l’écrivain italien Primo Levi, survivant de la Shoah, « Oublier le passé, c'est se condamner à le revivre. »

C’est bien là que se situe le lien à la fois fragile et indispensable entre histoire, mémoire et citoyenneté. Dans une société où l’on croule sous l’information (de toute sorte et de qualité diverse), la transmission de la mémoire demeure plus que jamais pertinente pour comprendre et interpréter l’actualité et le monde dans lequel on vit.

Ceux qui ne connaissent pas leur histoire s’exposent à ce qu’elle recommence.
Elie Wiesel

Pour aller plus loin

En théorie :

Pour en savoir plus sur les lieux de mémoire au Rwanda, découvrez ce site de l’Université de Paris1.

En actes :

Visite des lieux de mémoire, parcours et expositions

Les Territoires de la Mémoire. Ce Centre d’Éducation à la Résistance et à la Citoyenneté propose un ensemble de ressources pédagogiques : parcours-exposition évoquant l'itinéraire d'un déporté confronté à la survie dans les camps de concentration, outils pédagogiques et animations sur différents thèmes, médiathèque…

La Fondation Auschwitz organise des séminaires pour les enseignants et les étudiants, des dossiers pédagogiques, des conférences, des expositions, des voyages d’études à Auschwitz

La Kazerne Dossin n’est pas un simple site muséal, c’est aussi un lieu de mémoire. La caserne est indissociablement liée à l’histoire de la Shoah en Belgique. Entre 1942 et 1944, les nazis se sont servis de la caserne comme camp de rassemblement pour y regrouper un maximum de Juifs et de Tziganes. 25 484 Juifs et 352 Tziganes environ ont été déportés de la caserne à Auschwitz-Birkenau. C’est en ce lieu chargé d’histoire que le musée retrace la persécution des Juifs et des Tziganes dans notre pays.